





Natif de Granby de descendance autochtone du côté paternel (Ernest), je suis l’aîné d’une famille qui compte 3 enfants dont un frère (Steven) et une sœur cadette (Sandra). Je suis père de 2 adolescents, William et Philippe. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je suis né entendant. Ce sont des suites d’une méningite à l’âge de 6 mois que je suis devenu sourd. Dès l’âge de 3 ans, j’ai dû quitter le cocon familial pour aller apprendre la langue des signes à Montréal. J’y séjournais la semaine en tant que pensionnaire pour revenir à la maison la fin de semaine. Je n’ai aucun souvenir d’avoir entendu, donc j’y suis habitué.
On me demande souvent pourquoi avec les avancées médicales que je n’ai pas d’implant cochléaire qui me servirait (peut-être) à entendre. Ça fait tellement longtemps maintenant que j’aurais peur d’être étourdi par tous ces bruits qui me sont inconnus. J’ai une certaine paix, une certaine quiétude sur tous les discours autour.
Je n’ai pas un parcours ‘’standard’’, je n’ai rien de standard si on peut dire. Julie est ma complice de vie. La première à prendre une part active pour ma reconnaissance dans le milieu. Elle m’a toujours dit ‘’Si on ne peut pas passer par la grande porte, on va passer par la porte de service.’’ En disant ça, elle faisait référence à Messenger.
Lorsqu’elle voyait des annonces passer sur Facebook ou si elle croyait que mon profil pouvait intéresser une entreprise, elle me proposait à eux en y joignant quelques photos suivies d’une brève description.
Ce qui a permis de montrer quelques contrats faits pour me présenter aux agences. En 2 occasions (pour ma fête) elle m’a offert une séance de photo avec styliste pour étoffer mon porte-folio.
Suite à une annonce de Paul Henry Serre qui cherchait des modèles pour des photo de page couverture de livre et de romans (bookcovers), ma conjointe a proposé ma candidature lors que j’étais au travail (je suis ébéniste) et il a voulu me rencontrer pour une séance de photos. Depuis, j’ai 6 pages ouvertures de roman à mon actif dont une avec Julie.
À cette époque je n’avais que peu de vêtements et les séances de photos servant à me promouvoir, donc ils ont toutes été achetés en friperie. Merci Renaissance et Village des Valeurs, tu m’as permis de me faire émerger en tant que modèle.
Qu’est-ce qui vous a décidé de devenir mannequin ?
C’est un concours du destin, j’imagine. En plein magasinage dans une boutique, j’ai été approché par le propriétaire. Il voulait que je fasse du mannequinat pour lui. J’étais alors dans la vingtaine et trop timide pour accepter. J’ai refusé poliment et ensuite à l’occasion ce moment est revenu à ma mémoire. Est-ce que j’ai raté ma chance à cause de mon inconfort du moment ?
En juillet 2018 la vie a placé Julie sur mon parcours de vie qui depuis 2016 gravite aussi dans ce domaine. Dans la semaine qui suit l’annonce ou elle s’affiche en couple avec moi sur les réseaux sociaux, 4 photographes nous proposent une séance photo en partenariat. Suite à la parution d’une première série qui a eu lieu avec Edgard Daher j’ai noté une forte progression de mon compte Fb qui, à la base , en était un plutôt restreint à ma famille et quelques amis sourds. Depuis, Il a passé de 60 à près de 2000 aujourd’hui et mon compte Instagram à plus de 12k.
La citation de George Eliot : Il n’est jamais trop tard pour devenir ce que nous aurions pu être, prend tout son sens à l’aube de mes 50 ans.
Qu’est-ce qui vous inspire en tant que mannequin ?
Il existe une forme de liberté dans ce métier où rien n’est routinier. On rencontre de nouveaux défis oui, mais on visite d’autres lieux, on rencontre des gens et ce milieu est plutôt ouvert. Je suis en un sens un symbole de différence alors c’est un concept qui colle à ma vie. «Be yourself, be you.» Chacun à sa manière apporte à la collectivité. Il faut peut-être avoir vécu l’exclusion pour en connaître toute la portée. Essayez de construire un casse-tête de pièces uniques pour voir. La diversité apporte du relief à l’image. Je voudrais avoir un impact positif pour ceux qui croient que leur différence est un frein à exploiter leur potentiel.
Quel type de séance photos souhaiteriez-vous faire ?
J’adorerais un vrai Éditorial de mode. Quelque chose d’original, spécial et peut-être même déstabilisant. Ça permet de rester alerte de sortir de sa zone de confort. Ce que j’aimerais aussi, c’est de faire un défilé. Une présentation « live » de vêtements de mode.
Quel style de mode souhaitez-vous le plus promouvoir ?
J’aime beaucoup le contraste de styles. L’un des styles peut être très « flyé » dans l’originalité des matières, textures, couleurs et dcoupes. Mais doit garder un sens esthétique. Le second style est le classique pur. Le formal suit et ses dérivés. Le style “dandy, dapperman”. Je ne voudrais vivre que de ce métier si je pouvais car je suis ébéniste de métier.
Parlez-moi de votre dernière séance de mannequinat.
Ce n’est pas ma dernière mais une que j’ai bien aimées avec Graficman. Ils ont osé faire un « live », bien que peu habitué, je me suis amusé à faire de courtes vidéos partagées en réels.
Parlez-moi d’un défi que vous avez rencontré lors d’une séance de mannequinat.
De revenir au bord du lac…? Oui c’est plus une anecdote. En séance de photo au BIC pour Atmosphère Plein Air il fallait que je pagaie assez loin au large, sens mes lunettes je ne vois pas aussi loin et l’équipe avait beau me crier qu’il était le moment de revenir…oui je sais, toujours une bonne idée d’avoir des verres de contact pour moi dans ce genre de situation !
En générale, je lis facilement les intentions sur le visage, donc pour un «moodboard» spécifique, je demande souvent à voir des images d’inspiration. On me pointe la direction ou je dois porter le regard et parfois le photographe me fait l’expression du visage qu’il veut me vois adopter.
Pour ce qui est du défi en tant que tel c’est qu’on me prenne au sérieux dans mon désir de faire du mannequinat. J’ai dû essuyer plusieurs refus avant qu’on me considère, dont une fois une agence reconnue de Montréal s’est désistée à la dernière minute. Je devais signer à 9h et apporter des vêtements noirs pour la séance de représentation de l’agence. La veille, vers 16h, un simple courriel froid mentionne que l’agence se désistait. J’ai su pourquoi, ce soir-là, j’ai beaucoup pleuré, je me suis dit qu’à ce moment-là avoir été entendant j’aurais signé.
À partir de ce jour exactement il est devenu clair pour moi que je ne cacherais pas qui je suis. Qu’un jour à force de persévérer je viendrais à bout des résistances, et pousser l’audace plus loin en faisant le souhait que justement qu’on me connaisse et reconnaisse en tant que modèle sourd. Mais avant je dois balayer les doutes qui viennent d’une certaine méconnaissance de la condition sourde.
Le réel défi est de briser les préjugés entourant les capacités à effectuer un travail. Avant de tenir pour acquis que je ne serai pas capable d’effectuer un travail, essayez avant et constatez ensuite. Après, si ça ne correspond pas à vos attentes je comprendrai mais ne présumez pas avant d’avoir pris le temps de me connaître. Vous pourriez être surpris…
Parlez-moi de votre plus grande réussite.
Avoir finalement signé avec MAVEN Models le 5 février 2020. Mais puisque rien ne semble facile 3 semaines plus tard, le monde entier tombait en pandémie. Ce n’est pas le contexte idéal pour se faire connaitre quand l’économie est pratiquement arrêtée, et encore maintenant avec la montée de l’inflation. Malgré une crise socio-économique, je signe aussi à Toronto avec B&M Models. Ces 2 agences reconnaissent la diversité et osent. Beaucoup me reconnaissent maintenant comme le mannequin sourd. (The deaf silverfox)
Qui est votre modèle préféré et pourquoi ?
Nyle DiMarco, mannequin sourd au ÉU. Il est depuis toujours une source d’inspiration pour continuer à persévérer. Il me permet de croire que ce que je veux est possible même si de mon côté ça s’est manifesté tardivement dans ma vie. Mon désir n’en est pas moins grand et dans un monde idéal on reprend une séance qu’il a déjà faite tenant un drapeau américain. Cette fois nous serions 2, lui avec le drapeau américain et moi avec le drapeau canadien. Deaf Power, on ne peut dompter les rêveurs.
Avec quelles marques avez-vous travaillé ?
-Page couverture de Fugues magazine
-Cover model 6 ou 7 fois dont une avec ma conjointe
-Ma première chance commerciale avec la Boutique Option sur un panneau publicitaire extérieur sur l’autoroute 13;
-Ma première vraie campagne saisonnière avec Ernest
-Campagne publicitaire avec Educ’Alcool
-Salon de coiffure Perry Sénécal
-Rôle de pharmacien
-Verres Transitions
-Graficman
-et bientôt le Casino de Montréal en duo avec ma conjointe.
Quel est votre designer préféré et pourquoi ?
Pour la semi-transparence et coupes audacieuses je dirais ORTTU New York j’aime ce qui sort de des sentiers battus en même temps que j’aime le très classique. La ligne droite épurée du «formal suit» où SURMESUR une entreprise que je suis depuis mes débuts sur Instagram et spécialisé dans la confection sur mesure avec différentes propositions de tissus (on va se le dire, assez luxueux)! NICO Design est un designer local que j’apprécie bien pour son style structuré et/ou déstructuré !
Dans mes fantasmes je porte un complet Armani.
Qui suivez-vous dans l’industrie de la mode ?
Les autres modèles de type ‘’silver’’ qui bizarrement sont presque tous en Europe ou aux ÉU. Je n’en connais que très peu ici. Ce qui fait que beaucoup me pensent Européen. Je fais partie des groupes FB “silverfox dudes” qui regroupe les 40+ international “silverfoxmale”, “silverfox Australia” et “Hot Guys Silverfox”. Après avoir demandé par curiosité, je serais à leur connaissance le seul sourd du groupe. Je suis certains influenceurs de style «dapper».
Comment définissez-vous la mode ?
Elle doit nous coller à la peau. On doit s’y sentir bien. On doit assumer ce qu’on porte. Les couleurs ont une forme d’énergie. Par exemple le rouge prend une énergie, un état d’âme pour le porter. Pas tous vont assumer cette couleur parfois considérée trop vibrante. Ce n’est pas non plus parce qu’une coupe est à la mode qu’elle ira à toutes les silhouettes. Je dirais qu’il faut filtrer les influences et les adopter en fonctions de comment nous nous sentons quand nous les portons.
Quelles sont vos aspirations pour votre carrière de mannequin ?
Tout d’abord je voudrais pouvoir en vivre. C’est une passion et je ferais des séances de photos tous les jours si je pouvais. Mais je crois que le marché européen et canadien ne semble pas le même. Ici il est plus difficile d’obtenir des contrats c’est pourquoi ma vision est plutôt élargie à l’international. J’ai déjà des plans pour aller faire une séance photos en duo avec un silverfox d’ici et un que j’estime beaucoup au ÉU.
“Impossible ? I’m possible”. On dit que l’impossible recule lorsqu’on marche vers lui. «Not speaking is not a reason to be silent…»
Que ressentirait-on si, dans une vie, on osait agir différemment, sortir des sentiers battus et défier les prévisions ?